Roman Thibeaux à l'assaut de l'armure bactérienne

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Atteindre les bactéries responsables de la leptospirose en s’attaquant au “bouclier” qu’elles fabriquent pour se protéger: c’est la stratégie que tente de développer Roman Thibeaux, jeune chercheur à l’Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie. Natif de l’île, il a quitté le Pacifique Sud pendant une dizaine d'années pour y revenir mieux armé.

Avec un père infirmier et une mère secrétaire médicale, Roman Thibeaux baigne depuis son enfance dans le milieu médical. Né à Nouméa en 1985, il a été confronté dès sa jeunesse aux maladies infectieuses: "Quand j'étais petit, j'entendais parler de gens qui avaient la lèpre ou la leptospirose. Tous les ans, il y avait des épidémies de dengue. Ça m’a marqué. Je craignais ces maladies et en même temps je me disais qu’on devait les combattre !" raconte le trentenaire.

Quand Roman obtient sa licence en Sciences de la Vie à l’Université de la Nouvelle-Calédonie, il n’a pas le choix : il doit quitter l’île pour poursuivre ses études.
Il pense alors s’orienter vers la biologie marine, influencé par ses enseignants dont beaucoup travaillent sur les poissons et la gestion des stocks marins.

L’étudiant envoie alors une candidature à Brest en biologie marine et l’autre à Paris en génétique. "Mon dossier pour l'université de Brest a été perdu !", raconte celui qui vit alors à plus de 16.000 kilomètres de la métropole.

Le destin le conduit donc à l'Université Denis Diderot à Paris pour un Magistère Européen de Génétique orienté sur les pathogènes. Pour son stage, Roman part travailler 6 mois sur les parasites à l'Albert Einstein College of Medicine de New-York. "C’était ma première vraie expérience de recherche sur les maladies infectieuses. Je m'y suis vraiment épanoui et j’ai décidé de poursuivre dans cette voie ".

À l'Institut Pasteur, j'ai été plongé dans un monde très stimulant d'excellence en recherche scientifique

En 2009, il se lance dans un doctorat sur l’amibiase intestinale, une pathologie due à l’amibe Entamoeba histolytica dans l’unité " Biologie Cellulaire du Parasitisme" à l’Institut Pasteur à Paris. Après sa thèse, il reste dans le même laboratoire pour un post doc de 2 ans : "À l'Institut Pasteur, j'ai été plongé dans un monde très stimulant d'excellence en recherche scientifique. Nous avons identifié un facteur de virulence que le parasite exprime pour pénétrer la muqueuse intestinale humaine." Roman Thibeaux restera encore une année loin de son île natale pour un nouveau post doc, à l’École Centrale de Paris. "J’étais un peu un extra-terrestre dans un laboratoire de mécaniciens. Ils avaient besoin de mes compétences pour développer des systèmes de cultures cellulaires  de tissus osseux en bioréacteur" s’amuse Roman. Il se forme en parallèle en imagerie à rayons X. "C’est fascinant de visualiser les interactions entre les cellules humaines et le pathogène. J’essaie de mettre cela en place à l'Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie, même si nous n’avons pas encore tout le matériel nécessaire" explique-t-il.

S'attaquer au biofilm, l'armure des bactéries

Car depuis début 2016, Roman Thibeaux est rentré en Nouvelle-Calédonie avec sa femme rencontrée à Paris. Financé par la Fondation AXA pour la recherche, il étudie la leptospirose environnementale, une maladie bactérienne transmise à l’homme via de l’eau contaminée. «les leptospires sont capables de se regrouper à l’intérieur d’une matrice extracellulaire appelée biofilm. C’est sur cette structure que portent nos recherches » détaille le scientifique.

Son travail a montré que le biofilm protégeait les bactéries des stress environnementaux, leur permettrai de survivre pour in fine contaminer un mammifère réservoir et éventuellement les humains. En Nouvelle-Calédonie, la plupart des contaminations se font lors de baignades dans des eaux souillées par des urines d’animaux infectées (rongeurs, cochons sauvages, cerfs…). L'équipe de l'Institut Pasteur de Nouvelle-Calédonie a donc procédé à des prélèvements de sols sur des sites où des patients pensaient s’être contaminés. "Nos échantillons contenaient plusieurs nouvelles espèces de leptospires, douze au total, une découverte inattendue", relate le chercheur. Le dépôt de lamelle sur ces sites leur a par ailleurs permis de mettre en évidence la formation d’un biofilm hébergeant des leptospires. "Si on parvient à analyser sa composition ou comprendre la façon dont il est secrété, on pourrait développer des outils pour empêcher sa production ou le dégrader et rendre les bactéries vulnérables".  Autre piste : les leptospires prolifèrent dans les reins des animaux avant d’être excrétés dans l’environnement. "Nous pensons que le biofilm protègerait les bactéries contre l’acidité de l’urine lors du portage rénal. Si c’est le cas une intervention limitant la production de biofilm, diminuerait le portage chronique chez les mammifères. C’est parti pour plusieurs années de travail " conclut avec enthousiasme Roman.

En 2016, Roman Thibeaux a été recruté par le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie et mis à disposition de l'Institut Pasteur de Nouvelle Calédonie. Un parcours professionnel idéal pour celui qui avait quitté à contrecœur le Pacifique : "c’est une grande satisfaction de contribuer à faire avancer la science sur une maladie qui touche particulièrement les Calédoniens".